samedi 6 février 2016

Une journée ordinaire

L'aube n'est plus très loin. Marie se lève silencieusement et va aussitôt rajouter du petit bois et un peu de journal pour raviver le feu qui s'était lui aussi assoupi.
Elle met de l'eau à chauffer, prépare le café et vite, après sa toilette de chat, s'habille devant la cheminée. Le café chaud lui donne l'énergie pour commencer la matinée. Marie enfile ses sabots et met sa capeline pour sortir au jardin ramasser quelques légumes qu'elle ajoutera dans la marmite qui frémit au-dessus du feu; elle y trempe une lanière de lard et s'affaire maintenant à poser les bols et les cuillères sur la table pour le déjeuner.
Le coq lance son cri clair dans la brume qui s'effiloche. Doucement, la maison s'éveille. D'abord Jean qui avale bien vite son café avant de sortir pour aller traire les deux vaches et qui bientôt revient avec une cruche encore fumante de lait frais et chaud.
Marie entend les petits rires de Pierre et Jeanne qui s'amusent à se chatouiller dans la chaleur douce du lit. Les deux petits enfants pointent leur bout de nez, les yeux encore plein de sommeil.


Devant eux, Marie verse la soupe dans le bol, y coupe quelques tranches de pain et ajoute un grand verre de lait encore tiède. Une pomme sera mise dans leur cartable pour la récréation à l'école. Entre deux chamailleries, les petits sont lavés, habillés et prêts à partir. Marie reste quelques minutes à les regarder s'éloigner sur le chemin vers l'école, en souriant...
Jean, la soupe avalée, est prêt aussi à aller au champ : le bœuf attelé à la carriole l'attend calmement au devant de la porte. Un bout de pain et du fromage dans sa besace, un furtif baiser à Marie et dans un nuage de poussière, le voilà parti.
Mais, pas le temps de lambiner pour Marie : déjà la vieille mère de Jean l'appelle.
Marie l'aide à se lever, elle l'installe devant le feu pour lui faire sa toilette et l'habiller; puis elle lui sert son bol de soupe et continue à débarrasser la table, faire la vaisselle, passer un coup de balai. Puis elle sort pour aller cueillir quelques pissenlits pour nourrir les lapins; elle ouvre le poulailler et c'est un déluge de plumes qui l'assaillent quand elle jette le maïs et les épluchures de légumes.
Aujourd'hui, c'est jour de lessive : Marie amoncelle les draps et vêtements à laver sur la brouette et s'achemine vers le lavoir. C'est son moment de société à Marie : là, elle écoute les conversations mêlées de potins des autres villageoises. Le lavoir, c'est le journal du village : tout y est dit, déballé et chacune y va de son commentaire. C'est un moment de détente pour Marie, malgré les mains gelées à force de tremper dans l'eau.


Mais déjà le soleil est plus haut et elle rentre pour étendre les draps sur l'herbe pour qu'ils soient bien blancs et frais.
Puis, elle prépare le repas. Aujourd'hui ce sera un bon ragout de porc avec des pommes de terre : c'est un plat qui tient chaud au corps et qui peut se réchauffer. Elle garde le chou pour demain.
Voilà Jean qui revient, il rentre et se verse un grand verre d'eau : il a eu chaud ce matin, l'air était trop doux.
C'est en bavardant qu'arrivent à leur tour Jeanne et Pierre et tous savourent ensemble le moment du repas.
Mais il passe trop vite ce moment, et déjà chacun repart; Jean à sa besogne, les enfants à l'école. La vieille s'est assoupie dans son fauteuil devant l'âtre.
La maison rangée, le linge rentré et bien lissé, Marie s'installe pour repriser quelques linges, pantalons et blouse qui peuvent encore faire de l'usage après un bon raccommodage. Elle a mis une chaise sur le pas de sa porte pour profiter de la douceur des rayons du soleil.
Plus tard, elle prépare une grande bouteille d'eau bien fraîche et quelques fruits et, le tout dans son panier, elle s'achemine vers le champ que laboure Jean.
Il est heureux de la voir arriver et c'est avec un plaisir non caché qu'il se régale des fruits et d'eau.
Au loin, on entend résonner la cloche de l'église. Et sur le chemin, comme deux petits moineaux, ils regardent venir vers eux leurs deux pitchouns.
C'est ainsi que toute la famille revient au logis pour le repas du soir.


Marie ira au puits tirer deux ou trois seaux d'eau, Jean coupera du petit bois pour le feu, les enfants reliront leurs leçons; on soupera et ensuite, réunis devant le feu, on racontera sa journée, la vieille parlera de son temps, les enfants écouteront et doucement, la nuit venant, tout ce petit monde ira se coucher. Marie pensera qu'il lui faudra aller au bourg vendre ses légumes pour avoir quelques pièces qui serviront à l'achat de nouvelles galoches pour Pierre, une blouse pour Jeanne et peut-être un peu de tabac pour Jean...

C'est une journée ordinaire dans la vie de gens ordinaires, le quotidien simple d'une femme simple et de sa petite famille...

Il est difficile, je trouve, en généalogie, de faire revivre nos ancêtres, surtout les femmes sur lesquelles les documents sont plutôt muets. J'ai souhaité (par ce billet) honorer toutes les femmes silencieuses que je croise au détour des actes.
Qu'elle s'appelle Marie, Jeanne, Catherine, ou Pétronille, elles étaient là pour engendrer toute cette descendance que j'étudie et reconstruis aujourd'hui.

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